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pour le paradis des légendes. C’était un départ d’une gaieté enfantine, divine, sans amertume aucune. Tous les malades semblaient guéris. On avait beau les emporter tels qu’on les avait apportés, ils partaient soulagés, heureux, pour une heure au moins. Et pas la moindre jalousie ne gâtait leur fraternité, ceux qui n’étaient pas guéris s’égayaient, triomphaient avec la guérison des autres. Leur tour viendrait sûrement, le miracle d’hier leur était la formelle promesse du miracle de demain. Au bout de ces trois journées de supplications ardentes, la fièvre du désir continuait, la foi des oubliés demeurait aussi vive, dans la certitude que la sainte Vierge les avait simplement remis à plus tard, pour le salut de leur âme. En eux tous, chez tous ces misérables affamés de vie, brûlaient l’inextinguible amour, l’invincible espérance. Aussi était-ce, débordant des wagons pleins, un dernier éclat de joie, une turbulence d’extraordinaire bonheur, des rires, des cris. « À l’année prochaine ! nous reviendrons, nous reviendrons ! » Et les petites sœurs de l’Assomption, si gaies, tapèrent dans leurs mains, et le chant de reconnaissance, le Magnificat, chanté par les huit cents pèlerins, s’éleva.

Magnificat anima mea Dominum

Alors, le chef de gare, enfin rassuré, les bras ballants, fit donner le signal. De nouveau, la machine siffla, puis s’ébranla, roula dans l’éclatant soleil, comme dans une gloire. Sur le quai, le père Fourcade était resté, appuyé à l’épaule du docteur Bonamy, souffrant beaucoup de sa jambe, saluant quand même d’un sourire le départ de ses chers enfants ; tandis que Berthaud, Gérard, le baron Suire formaient un autre groupe, et que, près d’eux, le docteur Chassaigne et M. Vigneron agitaient leur mouchoir. Aux portières des wagons qui fuyaient, des têtes se penchaient joyeuses, des mouchoirs volaient aussi, dans le vent de la course. Madame Vigneron forçait