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minute où il partirait. Mais, par delà cette existence, ses chères mortes, sa femme et sa fille l’attendaient au rendez-vous de la vie éternelle, et quel froid de glace, s’il s’était dit un seul moment qu’il ne les y retrouverait pas !

Péniblement, l’abbé Judaine se releva. Il avait cru remarquer que le Commandeur fixait à présent ses yeux vifs sur Marie. Désolé de ses supplications inutiles, il voulut lui montrer un exemple de cette bonté de Dieu, qu’il repoussait.

— Vous la reconnaissez, n’est-ce pas ? Oui, c’est la jeune fille qui est arrivée samedi, si malade, paralysée des deux jambes. Et vous la voyez à cette heure, si bien portante, si forte, si belle… Le ciel lui a fait grâce, la voilà qui renaît à sa jeunesse, à la longue vie qu’elle est née pour vivre… N’avez-vous aucun regret à la regarder ? La voudriez-vous donc morte aussi, cette enfant, et lui auriez-vous conseillé de ne pas boire ?

Le Commandeur ne pouvait répondre ; mais ses yeux ne quittaient plus le jeune visage de Marie, où se lisait un si grand bonheur de la résurrection, une si vaste espérance aux lendemains sans nombre ; et des larmes parurent, grossirent sous ses paupières ; roulèrent le long de ses joues déjà froides. Il pleurait certainement sur elle, il songeait à l’autre miracle qu’il avait souhaité pour elle, si elle guérissait, celui d’être heureuse. C’était l’attendrissement d’un vieil homme, connaissant la misère de ce monde, s’apitoyant sur toutes les douleurs qui attendaient cette créature. Ah ! la triste femme, que de fois peut-être regretterait-elle de n’être pas morte à ses vingt ans !

Puis, les yeux du Commandeur s’obscurcirent, comme si ces larmes de pitié dernière les avaient fondus. C’était la fin, le coma arrivait, l’intelligence s’en allait avec le souffle. Il se tourna, et il mourut.

Tout de suite, le docteur Chassaigne écarta Marie.