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ses yeux troubles, une fraternité de créature très vieille et très souffrante la fit s’approcher davantage. Et, de ses mains agitées d’un continuel tremblement, elle prit son bidon, elle le tendit à l’homme.

Ce fut, pour l’abbé Judaine, une clarté brusque, comme une inspiration d’en haut. Lui, qui avait tant prié pour la guérison de madame Dieulafay, et que la sainte Vierge n’avait pas écouté, se sentit embrasé d’une foi nouvelle, convaincu que, si le Commandeur buvait, il serait guéri. Il tomba sur les genoux, au bord du matelas.

— Ô mon frère, c’est Dieu qui vous envoie cette femme… Réconciliez-vous avec Dieu, buvez et priez, pendant que nous-mêmes allons implorer de toute notre âme la miséricorde divine… Dieu voudra vous prouver sa puissance, Dieu va faire le grand miracle de vous remettre debout, pour que vous passiez encore de longues années sur cette terre, à l’aimer et à le glorifier.

Non, non ! les yeux étincelants du Commandeur criaient non ! Lui être aussi lâche que ces troupeaux de pèlerins, venus de si loin, à travers tant de fatigues, pour se traîner par terre et sangloter, en suppliant le ciel de les laisser vivre un mois, une année, dix années encore ! C’était si bon, c’était si simple de mourir tranquillement dans son lit ! On se tourne contre le mur, et l’on meurt.

— Buvez, ô mon frère, je vous en conjure… C’est la vie que vous allez boire, la force, la santé ; et c’est aussi la joie de vivre… Buvez pour redevenir jeune, pour recommencer une existence pieuse ! buvez pour chanter les louanges de la divine Mère qui aura sauvé votre corps et votre âme !… Elle me parle, votre résurrection est certaine.

Non, non ! les yeux refusaient, repoussaient la vie avec une obstination croissante ; et il s’y mêlait maintenant une sourde crainte du miracle. Le Commandeur ne croyait pas, haussait depuis trois ans les épaules devant