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rentrer mourir chez eux, ce qu’ils auraient dû commencer par faire. Et voilà, subitement, qu’il est tombé devant moi, foudroyé… C’était sa troisième attaque de paralysie, celle qu’il attendait…

— Oh ! mon Dieu ! murmura l’abbé Judaine qui avait entendu, il blasphémait, le ciel l’a puni !

M. de Guersaint et Marie écoutaient très intéressés, très émus.

— Je l’ai fait porter là, sous un coin de hangar, continua le docteur. C’est bien fini, je ne puis rien, il sera mort avant un quart d’heure sans doute… Alors, j’ai songé à un prêtre, je me suis hâté de courir…

Et, se tournant :

— Monsieur le curé, vous qui le connaissiez, venez donc avec moi. On ne peut pas laisser un chrétien s’en aller ainsi. Peut-être va-t-il s’attendrir, reconnaître son erreur, se réconcilier avec Dieu.

Vivement, l’abbé Judaine le suivit ; et, derrière eux, M. de Guersaint emmena Marie et Pierre, se passionnant à l’idée de ce drame. Tous les cinq arrivèrent sous le hangar des messageries, à vingt pas de la foule, qui grondait, sans que personne soupçonnât qu’un homme était si voisin, en train d’agoniser.

Là, dans un coin de solitude, entre deux tas de sacs d’avoine, le Commandeur gisait sur un matelas de l’Hospitalité, qu’on avait pris à la réserve. Il était vêtu de son éternelle redingote, la boutonnière garnie de son large ruban rouge ; et quelqu’un, ayant eu la précaution de ramasser sa canne à pomme d’argent, l’avait soigneusement posée près du matelas, par terre.

Tout de suite, l’abbé Judaine s’était penché.

— Mon pauvre ami, vous nous reconnaissez, vous nous entendez, n’est-ce pas ?

Le Commandeur ne paraissait plus avoir que les yeux de vivants ; mais ils vivaient, ils luisaient encore avec une