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trop gentil pour ne pas croire à un vrai commencement de conversion.

— Ah ! quelle reconnaissance j’ai à la sainte Vierge ! continua-t-elle. Elle seule a dû agir, et je l’ai bien compris, hier soir. Il m’a semblé qu’elle me faisait un petit signe, juste au moment où mon mari prenait la décision de venir me chercher. Je lui ai demandé l’heure exacte, ça concorde parfaitement… Voyez-vous, il n’y a pas eu de plus grand miracle, les autres me font sourire, ces jambes remises, ces plaies disparues. Ah ! que Notre-Dame de Lourdes soit bénie, elle qui a guéri mon cœur !

Le gros garçon brun se retournait, et elle s’élança pour le rejoindre, elle en oublia de faire ses adieux. Cette aubaine inespérée d’amour, ce regain tardif de lune de miel, toute une semaine passée à Luchon avec l’homme tant regretté, la rendait réellement folle de joie. Lui, bon prince, après l’avoir reprise dans une heure de dépit et de solitude, finissait par s’attendrir, amusé de l’aventure, en la trouvant beaucoup mieux qu’il n’aurait cru.

À ce moment, dans le flot croissant des malades qu’on apportait, le train de Toulouse arriva enfin. Ce fut un redoublement de tumulte, une confusion extraordinaire. Des sonneries tintaient, des signaux manœuvraient. On vit le chef de gare qui accourait, qui criait de tous ses poumons :

— Attention là-bas !… Déblayez donc la voie !

Et il fallut qu’un employé se précipitât pour pousser hors des rails une petite voiture oubliée là, avec une vieille femme dedans. Une bande effarée de pèlerins traversa encore, à trente mètres de la locomotive, qui s’avançait, lente, grondante, fumante. D’autres, perdant la tête, allaient retourner sous les roues, si les hommes d’équipe ne les avaient saisis brutalement par les épaules. Enfin, le train s’arrêta, sans avoir écrasé personne, au milieu des matelas, des oreillers, des coussins