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blonde fanée avant l’âge rayonnait, elle semblait rajeunie de dix ans, tout à coup tirée de l’infinie tristesse de son abandon.

Elle eut un cri, une joie qui débordait.

— Je pars avec lui… Oui, il est venu me chercher, il m’emmène… Oui, oui, nous partons à Luchon, ensemble, ensemble !

Puis, indiquant d’un regard extasié un gros garçon brun, l’air gai, la lèvre en fleur, en train d’acheter des journaux :

— Tenez ! le voilà, mon mari, ce bel homme qui rit là-bas avec la marchande… Il est tombé chez moi, ce matin, et il m’enlève, nous prenons le train de Toulouse, dans deux minutes… Ah ! chère madame, vous à qui j’ai dit mes peines, vous comprenez mon bonheur, n’est-ce pas ?

Mais elle ne pouvait se taire, elle reparla de l’affreuse lettre qu’elle avait reçue le dimanche, une lettre où il lui signifiait que, si elle profitait de son séjour à Lourdes, pour le relancer à Luchon, il lui refuserait sa porte. Un homme épousé par amour ! un homme qui la négligeait depuis dix ans, qui profitait de ses continuels déplacements de voyageur de commerce pour promener des créatures d’un bout de la France à l’autre ! Cette fois, c’était fini, elle avait demandé au ciel de la faire mourir ; car elle n’ignorait pas que l’infidèle était en ce moment même à Luchon avec deux dames, les deux sœurs, ses maîtresses. Et que s’était-il donc passé, mon Dieu ? Un coup de foudre, certainement ! Les deux dames avaient dû recevoir un avertissement d’en haut, la brusque conscience de leur péché, un rêve peut-être où elles s’étaient vues en enfer. Sans explication, un soir, elles s’étaient sauvées de l’hôtel, elles l’avaient planté là ; tandis que lui, qui ne pouvait vivre seul, s’était senti puni à un tel point, qu’il avait eu l’idée soudaine d’aller chercher sa femme, pour la ramener, la garder huit jours. Il ne le disait pas, mais la grâce l’avait sûrement frappé, elle le trouvait