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bonne figure fraîche, perdait un peu la tête. Elle dut continuer sa distribution, en écoutant Pierre qui appelait le médecin, installé dans un autre compartiment du fourgon, avec sa pharmacie de voyage. Puis, comme le jeune prêtre donnait des explications, parlait du malheureux qui se mourait, elle se fit remplacer, elle voulut aller le voir, elle aussi.

— Ma sœur, c’est que je venais vous demander un bouillon pour une malade.

— Eh bien ! monsieur l’abbé, je vais le porter. Marchez devant.

Ils se dépêchèrent, les deux hommes échangeant des questions et des réponses rapides, suivis par la sœur Saint-François qui portait le bol de bouillon, pleine de prudence, au milieu des coudoiements de la foule. Le médecin était un garçon brun, d’environ vingt-huit ans, robuste, très beau, avec une tête de jeune empereur romain, comme il en pousse encore aux champs brûlés de Provence. Dès que sœur Hyacinthe l’aperçut, elle eut une surprise, une exclamation.

— Comment ! c’est vous, monsieur Ferrand ?

Tous deux restaient ébahis de la rencontre. Les sœurs de l’Assomption ont la mission brave de soigner les malades, uniquement les malades pauvres, ceux qui ne peuvent payer, qui agonisent dans les mansardes ; et elles passent ainsi leur existence avec les indigents, s’établissent près du grabat, dans l’étroite pièce, donnent les soins les plus intimes, font la cuisine, le ménage, vivent là en servantes et en parentes, jusqu’à la guérison ou jusqu’à la mort. C’était de la sorte que sœur Hyacinthe, si jeune, avec son visage de lait où ses yeux bleus riaient sans cesse, s’installa un jour chez ce garçon, alors étudiant, en proie à une fièvre typhoïde, et d’une telle pauvreté, qu’il habitait rue du Four une espèce de grenier, en haut d’une échelle, sous les toits. Elle ne l’avait plus