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la minute d’émotion, de naïveté vraie, de foi sincère, qui enfante les chefs-d’œuvre. Tous des malins, tous des copistes, pas un n’a donné sa chair et son âme. Et que faut-il donc pour les inspirer, s’ils n’ont rien fait pousser de grand, sur cette terre du miracle !

Pierre ne répondit pas. Mais il était singulièrement frappé par ces réflexions, il s’expliquait enfin la cause d’un malaise qu’il éprouvait depuis son arrivée à Lourdes. Ce malaise venait du désaccord entre le milieu tout moderne et la foi des siècles passés, dont on essayait la résurrection. Il évoquait les vieilles cathédrales où frissonnait cette foi des peuples, il revoyait les anciens objets du culte, l’imagerie, l’orfèvrerie, les saints de pierre et de bois, d’une force, d’une beauté d’expression admirables. C’était qu’en ces temps lointains, les ouvriers croyaient, donnaient leur chair, donnaient leur âme, dans toute la naïveté de leur émotion, comme disait M. de Guersaint. Et, aujourd’hui, les architectes bâtissaient les églises avec la science tranquille qu’ils mettaient à bâtir les maisons à cinq étages, de même que les objets religieux, les chapelets, les médailles, les statuettes, étaient fabriqués à la grosse, dans les quartiers populeux de Paris, par des ouvriers noceurs qui ne pratiquaient même pas. Aussi quelle bimbeloterie, quelle quincaillerie de pacotille, d’un joli à faire pleurer, d’une sentimentalité niaise à soulever le cœur ! Lourdes en était inondé, ravagé, enlaidi, au point d’incommoder les personnes de goût un peu délicat, égarées dans ses rues. Tout cela, brutalement, jurait avec la résurrection tentée, avec les légendes, les cérémonies, les processions des âges morts ; et Pierre, tout d’un coup, pensa que la condamnation historique et sociale de Lourdes était là, que la foi est morte à jamais chez un peuple, quand il ne la met plus dans les églises qu’il construit, ni dans les chapelets qu’il fabrique.