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Panorama, il éprouvait une sensation singulière de dépaysement. C’était comme si, tout d’un coup, on l’avait transporté d’une ville dans une autre, à des siècles de distance. Il quittait la solitude, la paix endormie de l’ancien Lourdes, augmentée encore par la lumière morte du velum, pour tomber brusquement dans le Lourdes nouveau, éclatant de lumière, bruyant de foule. Dix heures venaient de sonner, l’animation était extraordinaire sur les trottoirs, tout un peuple qui, avant le déjeuner, se hâtait de finir ses achats, pour ne plus songer ensuite qu’au départ. Les milliers de pèlerins du pèlerinage national, en une bousculade dernière, ruisselaient par les rues, assiégeaient les boutiques. On aurait dit les cris, les coups de coude, les galops brusques d’une foire qui s’achève, au milieu du roulement ininterrompu des voitures. Beaucoup se munissaient de provisions de route, dévalisaient les échoppes en plein air, où l’on vendait des pains, du saucisson, du jambon. On achetait des fruits, on achetait du vin, les paniers se remplissaient de bouteilles, de papiers gras, jusqu’à en éclater. Un marchand ambulant qui promenait des fromages sur une petite voiture, voyait sa marchandise enlevée, comme balayée par le vent. Mais, surtout, la foule achetait des objets religieux ; et d’autres marchands ambulants, dont les petites voitures étaient chargées de statuettes et de gravures pieuses, réalisaient des affaires d’or. La clientèle des boutiques faisait queue sur la chaussée, les femmes étaient enveloppées de chapelets immenses, avaient des saintes Vierges sous les bras, emportaient des bidons pour les remplir à la fontaine miraculeuse. Ces bidons, d’un à dix litres, les uns sans image, les autres peinturlurés d’une Notre-Dame de Lourdes en bleu, ajoutaient une gaieté à la cohue, avec leur éclat de ferblanterie neuve, leur clair tintement de casserole, portés à la main, pendus en sautoir. Et la fièvre du négoce, le plaisir de