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Il s’était soulevé, son rasoir en l’air, et il répéta, en scandant les mots, les yeux arrondis par cette énormité :

— « Nous fermons la Grotte. »

Pierre, qui continuait sa promenade lente, s’arrêta brusquement, lui dit dans la face :

— Eh bien ! le conseil municipal n’avait qu’à répondre : « Fermez-la ! »

Du coup, Cazaban faillit suffoquer, le sang au visage, hors de lui. Il bégayait :

— Fermer la Grotte !… Fermer la Grotte !

— Mais certainement ! Puisqu’elle vous irrite et vous écœure, cette Grotte ! Puisqu’elle est une cause continuelle de guerre, d’injustice, de corruption ! Ce serait fini, on n’en entendrait plus parler… En vérité, il y aurait là une solution excellente, et si l’on avait quelque pouvoir, on vous rendrait service, en forçant les pères à exécuter leur menace.

À mesure que Pierre parlait, Cazaban perdait de sa colère. Il devint très calme, un peu pâle. Et, au fond de ses gros yeux, le prêtre voyait grandir une inquiétude. N’était-il pas allé trop loin, dans sa passion contre les pères ? Beaucoup d’ecclésiastiques ne les aimaient pas, peut-être ce jeune prêtre ne se trouvait-il à Lourdes que pour mener une campagne contre eux. Alors, qui pouvait savoir ? C’était la fermeture possible de la Grotte, plus tard. On ne vivait que d’elle. Si la vieille ville criait, par rage de ne ramasser que les miettes, elle était heureuse encore de cette aubaine ; et les libres penseurs eux-mêmes, qui battaient monnaie avec les pèlerins, comme tout le monde, se taisaient, mal à l’aise, effrayés, dès qu’on était trop de leur avis sur les côtés fâcheux du nouveau Lourdes. Il fallait être prudent.

Cazaban revint à M. de Guersaint. Il se mit à raser l’autre joue, en murmurant d’un air détaché :

— Oh ! moi, ce que j’en dis, de leur Grotte, ce n’est