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impossibles dont on occupe sa souffrance. Le rêve se réalisait, son cœur battait d’allégresse. Elle se serrait contre son père, elle s’efforçait de marcher bien droite, bien belle, pour lui faire honneur. Et lui était très fier, heureux autant qu’elle, la montrant, l’affichant, débordant de la joie de la sentir à lui, son sang, sa chair, sa fille, désormais rayonnante de jeunesse et de santé.

Comme tous trois traversaient le plateau de la Merlasse, déjà barré par la bande des marchandes de cierges et de bouquets, lancées à la poursuite des pèlerins, M. de Guersaint s’écria :

— Nous n’allons bien sûr pas arriver à la Grotte les mains vides !

Pierre, qui marchait de l’autre côté de Marie, gagné par la gaieté rieuse où il la voyait, s’arrêta. Tout de suite, ils furent entourés, envahis, par une nuée de marchandes, dont les mains rapaces leur poussaient la marchandise jusque dans la figure. « Ma belle demoiselle ! mes bons messieurs ! achetez-moi, achetez-moi, à moi, à moi ! » Et il fallut se débattre, se dégager. M. de Guersaint finit par acheter le plus gros bouquet, un bouquet de marguerites blanches, pommé et dur comme un chou, à une très belle fille grasse et blonde, vingt ans au plus, si peu vêtue dans son effronterie, qu’on sentait la rondeur libre de sa gorge sous sa camisole à demi dégrafée. Le bouquet n’était d’ailleurs que de vingt sous, il se fâcha pour le payer sur sa petite bourse, un peu interloqué des manières de la grande fille, pensant tout bas qu’elle faisait sûrement un autre commerce, celle-là, quand la sainte Vierge chômait. Alors, Pierre paya de son côté les trois cierges que Marie avait pris à une vieille femme, des cierges de deux francs, fort raisonnables, ainsi qu’elle disait. La vieille femme, une figure anguleuse, au nez de proie, aux yeux de lucre, se répandait en remerciements mielleux. « Que Notre-Dame de Lourdes vous bénisse,