Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/491

Cette page n’a pas encore été corrigée

cent fois répétés, et comment elle avait laissé son chariot à la Basilique, et comment elle venait de dormir douze heures, sans remuer un doigt. Puis, M. de Guersaint voulut aussi conter son excursion ; mais il s’embrouillait, y mêlait le miracle. En somme, ce cirque de Gavarnie, c’était quelque chose de colossal. Seulement, de loin, on perdait le sentiment des proportions, ça semblait petit. Les trois marches gigantesques, couvertes de neige, l’arête supérieure qui découpait sur le ciel le profil d’une forteresse cyclopéenne, au donjon rasé, aux courtines déchiquetées, la grande cascade, dont le jet sans fin semblait si lent, lorsque en réalité il devait tomber avec une violence de tonnerre, toute cette immensité, ces forêts à droite et à gauche, ces torrents, ces écroulements de montagnes, avaient l’air de tenir dans le creux de la main, quand on les regardait de la halle du village. Et ce qui l’avait le plus frappé, ce dont il reparlait sans cesse, c’étaient les étranges figures que dessinait la neige, restée là-haut parmi les rocs, entre autres un crucifix immense, une croix blanche de plusieurs milliers de mètres, qu’on aurait dite jetée en travers du cirque, d’un bout à l’autre.

Il s’interrompit pour dire :

— À propos, que se passe-t-il, chez nos voisins ? En montant tout à l’heure, j’ai rencontré monsieur Vigneron qui courait comme un fou ; et, par la porte entr’ouverte de leur chambre, il m’a semblé apercevoir madame Vigneron très rouge… Est-ce que leur fils Gustave a eu encore une crise ?

Pierre avait oublié madame Chaise, la morte qui dormait là, de l’autre côté de la cloison. Il crut sentir un petit souffle froid.

— Non, non, l’enfant va bien…

Et il ne continua pas, il préféra se taire. À quoi bon gâter cette heure si heureuse de résurrection, de jeunesse