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francs d’économie, qu’il avait bien fallu qu’on acceptât, car elle se fâchait, elle voulait aider aussi à la guérison de sa sœur, puisqu’elle ne pouvait être du voyage, retenue par ses leçons à Paris, dont elle allait continuer à battre le dur pavé, pendant que les siens s’agenouilleraient au loin, parmi les enchantements de la Grotte. Et l’on était parti, et l’on roulait, l’on roulait toujours.

À la station de Châtellerault, un éclat brusque des voix secoua Pierre, chassa l’engourdissement de sa rêverie. Quoi donc ? est-ce qu’on arrivait à Poitiers ? Mais il n’était que midi à peine, c’était sœur Hyacinthe qui faisait dire l’Angélus, les trois Ave répétés trois fois. Les voix se brisaient, un nouveau cantique monta et se prolongea, en une lamentation. Encore vingt-cinq grandes minutes avant d’être à Poitiers, où il semblait que l’arrêt d’une demi-heure allait soulager toutes les souffrances. On était si mal à l’aise, si rudement cahoté dans ce wagon empesté et brûlant ! C’était trop de misère, de grosses larmes roulaient sur les joues de madame Vincent, un sourd juron avait échappé à M. Sabathier, si résigné d’habitude, tandis que le frère Isidore, la Grivotte et madame Vêtu semblaient ne plus être, pareils à des épaves emportées dans le flot. Les yeux fermés, Marie ne répondait plus, ne voulait plus les rouvrir, poursuivie par l’horrible vision de la face d’Élise Rouquet, cette tête trouée et béante, qui était pour elle l’image de la mort. Et, pendant que le train hâtait sa vitesse, charriant cette désespérance humaine, sous le ciel lourd, au travers des plaines embrasées, il y eut encore une épouvante. L’homme ne soufflait plus, une voix cria qu’il expirait.