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elle c’est à l’homme que je parle, à un homme dont je serais heureuse d’être comprise… Non, je ne suis pas une croyante, la religion ne m’a pas suffi. On prétend que des femmes s’y contentent, qu’elles y trouvent une protection solide contre la faute. Moi, j’ai toujours eu froid dans les églises, j’y meurs de néant… Et je sais bien que cela est mal, de feindre la religion, de paraître la mêler aux choses de mon cœur. Mais, que voulez-vous ? on m’y force. Si vous m’avez rencontrée, à Paris, derrière la Trinité, c’est que cette église est le seul endroit où l’on me laisse aller seule ; et, si vous me trouvez ici, à Lourdes, c’est que, de toute l’année, je n’ai que ces trois jours de liberté absolue, d’absolu bonheur.

Un frisson la reprenait, des larmes chaudes coulèrent sur ses joues.

— Ah ! ces trois jours, ces trois jours ! vous ne pouvez pas savoir avec quelle ardeur je les attends, avec quelle flamme je les vis, avec quelle rage j’en emporte le souvenir !

Tout s’évoquait, devant la longue chasteté de Pierre. Ces trois jours, ces trois nuits, si âprement désirés, si goulûment vécus, il se les imaginait, au fond de cette chambre d’hôtel, les fenêtres et la porte closes, dans l’ignorance où les bonnes elles-mêmes se trouvaient qu’une femme fût enfermée là. L’étreinte sans fin, le continuel baiser, un don de tout l’être, un oubli du monde, un anéantissement dans l’inextinguible amour ! Il n’y avait plus de lieu, il n’y avait plus de temps, rien ne restait que la hâte de s’appartenir, de s’appartenir encore. Et quel déchirement, à l’heure de la séparation ! C’était de cette cruauté qu’elle tremblait, c’était dans la douleur d’avoir quitté son paradis qu’elle s’oubliait, elle si muette, jusqu’à crier son mal. Se prendre une dernière fois aux bras l’un de l’autre, vouloir se confondre pour demeurer l’un dans l’autre, et s’arracher comme si la moitié