Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/463

Cette page n’a pas encore été corrigée

avaient donné aux hivers le temps de manger l’œuvre. Maintenant, elle était dans un si pitoyable état, la dette montait à un chiffre si gros, que tout paraissait bien fini. La mort lente, la mort des pierres s’achevait. Sous son hangar effondré, la locomobile allait tomber en loques, battue par la pluie, rongée par la mousse.

— Je le sais bien, ils chantent victoire, il n’y a plus qu’eux. C’était ce qu’ils désiraient, être les maîtres absolus, garder pour eux seuls toute la puissance, tout l’argent… Si je vous disais que leur terreur de la concurrence les a poussés jusqu’à écarter de Lourdes les ordres religieux qui ont tenté d’y venir. Des jésuites, des dominicains, des bénédictins, des capucins, des carmes ont fait des demandes ; toujours, les pères de la Grotte sont parvenus à les évincer. Ils ne tolèrent que les ordres de femmes, ils ne veulent qu’un troupeau… Et la ville leur appartient, et ils y tiennent boutique, ils y vendent Dieu, en gros et en détail !

À pas lents, il était revenu au milieu de la nef, parmi les décombres. D’un grand geste, il montra la dévastation qui l’entourait.

— Voyez cette tristesse, cette misère affreuse… Là-bas, le Rosaire et la Basilique leur ont coûté plus de trois millions.

Pierre, alors, comme dans la noire et froide chambre de Bernadette, vit se dresser la Basilique, radieuse en son triomphe. Ce n’était point ici que se réalisait le rêve du curé Peyramale, officiant, bénissant les foules à genoux, pendant que les orgues grondaient d’allégresse. La Basilique, là-bas, s’évoquait, toute sonnante de la volée des cloches, toute clamante de la joie surhumaine d’un miracle, toute braisillante de flammes, avec ses bannières, ses lampes, ses cœurs d’argent et d’or, son clergé vêtu d’or, son ostensoir pareil à un astre d’or. Elle flambait dans le soleil couchant, elle touchait le ciel de sa flèche,