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Le docteur Chassaigne, justement, avant de quitter la chambre, s’écriait :

— Et c’est ici qu’il faut croire, mon cher enfant. Voyez-vous ce trou obscur, songez-vous à la Grotte resplendissante, à la Basilique triomphante, à toute la ville bâtie, à ce monde créé, à ces foules accourues ! Mais si Bernadette n’était qu’une halluciné, une folle, est-ce que l’aventure ne serait pas plus étonnante, plus inexplicable encore ? Comment ! le rêve d’une folle aurait suffi pour remuer ainsi les nations !… Non, non ! un souffle divin a passé, qui seul peut expliquer le prodige.

Vivement, Pierre allait répondre. Oui ! c’était vrai, un souffle avait passé, le sanglot de la douleur, le désir inextinguible vers l’infini de l’espoir. Si le rêve d’une enfant souffrante avait suffi pour amener les peuples, pour faire pleuvoir les millions et pousser du sol une cité nouvelle, n’était-ce pas que ce rêve venait apaiser un peu la faim des pauvres hommes, l’insatiable besoin qu’ils ont d’être trompés et consolés ? Elle avait rouvert l’inconnu, sans doute à un moment social et historique favorable ; et les foules s’y étaient précipitées. Oh ! se réfugier dans le mystère, quand la réalité est si dure, s’en remettre au miracle, puisque la nature cruelle semble une longue injustice ! Mais on a beau organiser l’inconnu, le réduire en dogmes, en faire des religions révélées, il n’y a toujours au fond que cet appel de la souffrance, ce cri de la vie, exigeant la santé, la joie, le bonheur fraternel, jusqu’à l’accepter dans un autre monde, s’il ne peut être sur cette terre. À quoi bon croire aux dogmes ? Ne suffit-il pas de pleurer et d’aimer ?

Et Pierre, cependant, ne discuta point. Il retint la réponse qui lui montait aux lèvres, convaincu d’ailleurs que l’éternel besoin du surnaturel ferait vivre chez l’homme douloureux l’éternelle foi. Le miracle, qu’on ne pouvait constater, devait être un pain nécessaire à la