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histoire attendrissait aux larmes, reprit enfin à demi-voix, résumant en un mot ses pensées :

— C’est Bethléem.

— Oui, dit le docteur Chassaigne à son tour, c’est le logis misérable, l’asile de rencontre, où naissent les religions nouvelles de la souffrance et de la pitié… Et, parfois, je me demande si tout ne va pas mieux ainsi, s’il n’est pas préférable que cette chambre reste dans cette indigence et dans cet abandon. Il me semble que Bernadette n’a rien à y perdre, car je l’aime davantage, lorsque je viens ici passer une heure.

Il se tut de nouveau, puis il eut un geste de révolte.

— Non, non ! je ne peux pardonner, l’ingratitude me jette hors de moi… Je vous l’ai dit, je suis convaincu que Bernadette est allée se cloîtrer librement à Nevers. Mais, si personne ne l’a fait disparaître, quel soulagement pour ceux qu’elle commençait à gêner, ici !… Et ce sont les mêmes hommes, si désireux d’être les maîtres absolus, qui aujourd’hui s’efforcent par tous les moyens de faire le silence sur sa mémoire… Ah ! mon cher enfant, si je vous disais tout !

Peu à peu, il parla, il se soulagea. Cette Bernadette, dont les pères de la Grotte exploitaient l’œuvre si âprement, ils la redoutaient plus encore morte que vivante. Tant qu’elle avait vécu, leur grande terreur était sûrement qu’elle ne revînt à Lourdes partager la proie ; et son humilité seule les rassurait, car elle n’était point une dominatrice, elle-même avait choisi l’ombre de renoncement où elle devait s’éteindre. Mais, à présent, ils tremblaient davantage, à l’idée qu’une volonté autre que la leur pouvait ramener les reliques de la voyante. Dès le lendemain de la mort, cette idée était bien venue au conseil municipal : la ville voulait élever un tombeau, on parlait d’ouvrir une souscription. Nettement, les sœurs de Nevers se refusèrent à livrer le corps, qui leur appartenait,