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faire une pièce de débarras, où l’on serrait les oignons et les tonneaux vides.

Alors, l’opposition, dans l’esprit de Pierre, s’évoqua avec une intensité telle, qu’il revit le triomphe auquel il venait d’assister, l’exaltation de la Grotte et de la Basilique, tandis que Marie, traînant son chariot, montait derrière le Saint-Sacrement, au milieu des clameurs de la foule. Mais, surtout, la Grotte rayonnait ; non plus l’ancien creux de roche sauvage, devant lequel l’enfant s’était agenouillée autrefois, sur le bord désert du torrent ; mais la chapelle arrangée, enrichie, la chapelle ardente, où les nations défilaient. Tout le bruit, toute la clarté, toute l’adoration, tout l’argent éclataient là-bas, en une splendeur de continuelle victoire. Ici, au berceau, dans ce trou glacé et sombre, pas une âme, pas un cierge, pas un chant, pas une fleur. Personne ne venait, personne ne s’agenouillait ni ne priait. Seuls, quelques visiteurs tendres avaient, pour emporter un souvenir, émietté sous leurs doigts la planche à demi pourrie qui servait de tablette à la cheminée. Le clergé ignorait ce lieu de misère, où les processions auraient dû se rendre, comme à une station de gloire. C’était là que l’enfant pauvre avait commencé son rêve, par une nuit froide, couchée entre ses deux sœurs, prise d’un accès de son mal, pendant que toute la famille dormait lourdement ; c’était de là qu’elle était partie, emportant ce rêve inconscient, qui allait renaître en elle sous le plein jour, pour fleurir si joliment en une vision de légende. Et personne ne refaisait le chemin, la crèche était oubliée, on laissait aux ténèbres cette crèche où avait germé la petite semence si humble, qui poussait aujourd’hui, là-bas, en des moissons prodigieuses, que récoltaient les ouvriers de la dernière heure, au milieu de la pompe souveraine des cérémonies.

Pierre, que la grande émotion humaine de toute cette