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emportant la vision du paradis entr’ouvert. Ils avaient vu le luxe de Dieu, ils en garderaient l’éternelle extase. Au fond de pauvres chambres nues, en face de grabats douloureux, dans la chrétienté entière, la Basilique s’évoquait avec son flamboiement de richesses, comme un rêve de promesse et de compensation, comme la fortune même, le trésor de la vie future, où les pauvres entreraient certainement un jour, après leur longue misère d’ici-bas.

Et Pierre n’avait aucune joie, regardait ces splendeurs sans consolation ni espérance. Son malaise affreux augmentait, il faisait noir en lui, un de ces noirs de tempête, lorsque les idées et les sentiments soufflent et hurlent. Depuis que Marie s’était levée de son chariot, criant qu’elle était guérie, depuis qu’elle marchait, si forte, si vivante, il sentait monter en lui une immense désolation. Cependant, il l’aimait en frère passionné, il avait éprouvé un bonheur sans bornes, à voir qu’elle ne souffrait plus. Pourquoi donc agonisait-il ainsi de sa félicité, à elle ? Il ne pouvait plus la regarder, maintenant, agenouillée, rayonnante au milieu de ses larmes, d’une beauté reconquise et grandie, sans que son pauvre cœur saignât, comme sous une mortelle blessure. Il voulait rester pourtant, il détournait les yeux, tâchait de s’intéresser au père Massias, toujours secoué de sanglots sur les dalles, et dont il enviait l’anéantissement, dans la dévorante illusion de l’amour divin. Un instant même, il questionna Berthaud, parut admirer une bannière, sur laquelle il demanda des explications.

— Laquelle ? cette bannière de dentelle, là-bas ?

— Oui, à gauche.

— C’est une bannière offerte par le Puy. Les armoiries sont celles du Puy et de Lourdes, liées par le Rosaire… La dentelle en est si fine, qu’elle tiendrait dans le creux de la main.

Mais l’abbé Judaine s’avançait, la cérémonie allait commencer.