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marches de la chaire, sanglotait lui aussi, levant vers le ciel sa face ruisselante, pour commander à Dieu de descendre.

Mais la procession arrivait, les délégations, les prêtres s’étaient rangés à droite et à gauche ; et, quand le dais entra dans l’enceinte réservée aux malades, devant la Grotte, quand ceux-ci aperçurent Jésus-Hostie, le Saint-Sacrement luisant comme un soleil, aux mains de l’abbé Judaine, il n’y eut plus de direction possible, les voix se confondirent, un vertige emporta toutes les volontés. Les cris, les appels, les prières se brisaient dans des gémissements. Des corps se soulevaient de leur grabat de misère, des bras tremblants se tendaient, des mains crispées semblaient vouloir arrêter le miracle au passage. « Seigneur Jésus, sauvez-nous, nous périssons !… Seigneur Jésus, nous vous adorons, guérissez-nous !… Seigneur Jésus, vous êtes le Christ, le fils du Dieu vivant, guérissez-nous ! » Trois fois, les voix désespérées, exaspérées, jetèrent la suprême lamentation, dans une clameur qui trouait le ciel ; et les larmes redoublaient, inondaient les visages brûlants, que transfigurait le désir. Un moment, la frénésie devint telle, l’élan instinctif vers le Saint-Sacrement parut si irrésistible, que Berthaud fit faire la chaîne aux brancardiers qui se trouvaient là. C’était la manœuvre de protection extrême, une haie de brancardiers se formait à droite et à gauche du dais, chacun d’eux nouant fortement un bras au cou de son voisin, de façon à construire une sorte de mur vivant. Il n’y avait plus de fissure, rien ne pouvait passer. Mais ces barrières humaines n’en fléchissaient pas moins sous la pression des malheureux affamés de vie, voulant toucher, voulant baiser Jésus ; et elles oscillaient, se trouvaient rabattues contre le dais qu’elles défendaient, et le dais lui-même, sous la continuelle menace d’être emporté, roulait parmi la foule, ainsi qu’une barque sainte en péril de naufrage.