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nos malades ! » il voyait, il entendait toujours Beauclair lui dire, de son air calme et souriant, comment le miracle s’accomplirait, en coup de foudre, à la seconde de l’extrême émotion, sous la circonstance décisive qui achèverait de délier les muscles. Dans un transport éperdu de joie, la malade se lèverait et marcherait, les jambes brusquement légères, soulagées de la pesanteur qui les faisait de plomb depuis si longtemps, comme si cette pesanteur se fût fondue, eût coulé en terre. Mais surtout le poids qui écrasait le ventre, qui montait, ravageait la poitrine, étranglait la gorge, s’en irait, cette fois-là, en une envolée prodigieuse, en un souffle de tempête emportant avec lui tout le mal. N’était-ce point ainsi, au moyen âge, que les possédées rendaient par la bouche le diable, dont leur chair vierge avait longuement subi la torture ? Et Beauclair avait ajouté que Marie serait femme enfin, que le sang de la maternité jaillirait, dans ce sursaut d’hosanna, ce réveil d’un corps resté enfant, attardé et brisé par un si long rêve de souffrance, tout d’un coup rendu à une santé éclatante, les yeux vivants, la face radieuse.

Pierre regarda Marie, et son trouble grandit encore, à la voir si misérable, dans son chariot, si éperdument implorante, élancée toute vers Notre-Dame de Lourdes, qui donnait la vie. Ah ! qu’elle fût donc sauvée, au prix même de sa damnation, à lui ! Mais elle était trop malade, la science mentait comme la foi, il ne pouvait croire que cette enfant, aux jambes mortes depuis tant d’années, allait revivre. Et, dans le doute désordonné où il tombait, son cœur saignant clama plus haut, répéta sans fin avec la foule délirante :

— Seigneur, fils de David, guérissez nos malades !… Seigneur, fils de David, guérissez nos malades !

À ce moment, un tumulte courut, agita les têtes. Des gens frémissaient, des faces se tournaient, se haussaient.