Cette pensée de charité humaine émotionna Pierre. Un moment encore, il put se ressaisir, il demanda la guérison de tous, très touché par cette croyance qu’il travaillait ainsi, un peu pour sa part, à la guérison de Marie. Mais, brusquement, sans qu’il sût par quelle liaison d’idées, un souvenir lui revint, celui de la consultation qu’il avait exigée sur le cas de la jeune fille, avant le départ pour Lourdes. La scène se précisait, d’une netteté extraordinaire, il revoyait la chambre avec son papier gris, à fleurs bleues, il entendait les trois médecins discuter et conclure. Les deux qui avaient donné des certificats, diagnostiquant une paralysie de la moelle, parlaient avec la lenteur sage de praticiens connus, estimés, d’une honorabilité parfaite ; tandis qu’il avait encore dans l’oreille la voix vive et chaude de son petit-cousin Beauclair, le troisième médecin, un jeune homme d’une vaste et hardie intelligence, que ses confrères traitaient froidement, en esprit aventureux. Et Pierre était surpris de retrouver dans sa mémoire, à cette minute suprême, des choses qu’il ne savait pas y être, par ce phénomène singulier qui fait parfois que des paroles, à peine écoutées, mal entendues, emmagasinées comme malgré soi, se réveillent, éclatent, s’imposent, après de longs oublis. Il lui semblait que l’approche même du miracle évoquât les conditions dans lesquelles Beauclair lui avait annoncé qu’il s’accomplirait.
Vainement, Pierre s’efforça de chasser ce souvenir, en priant avec un redoublement de ferveur. Les images renaissaient, les paroles anciennes retentissaient, lui emplissaient les oreilles d’un éclat de trompette. C’était maintenant dans la salle à manger, où Beauclair et lui s’étaient enfermés, après le départ des deux autres. Et Beauclair faisait l’historique de la maladie : la chute de cheval, sur les pieds, à quatorze ans ; la luxation de l’organe, culbuté, renversé de côté ; les ligaments déchirés