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des pieds afin de ne rien perdre du spectacle. D’ailleurs, la clameur des litanies était si forte, à ce moment-là, qu’on n’entendait même pas les supplications du jeune prêtre.

— Monsieur, écartez-vous, laissez-moi passer… Un peu de place pour une malade, voyons, écoutez-moi donc !

Et les hommes, pas plus que les femmes, ne consentaient à bouger, hors d’eux-mêmes, dans un ravissement aveugle et sourd.

Marie, du reste, souriait avec sérénité, comme ignorante de l’obstacle, certaine que rien au monde ne l’empêcherait d’aller à la guérison. Pourtant, lorsque Pierre eut trouvé une fissure et se fut engagé dans le flot mouvant, la situation s’aggrava. De toutes parts, la houle battait le frêle chariot, menaçait par moments de le submerger. À chaque pas, il fallait s’arrêter, attendre, recommencer à supplier les gens. Pierre n’avait jamais eu une sensation si anxieuse de la foule. Elle était sans menace, d’une innocence et d’une passivité de troupeau ; mais il y trouvait un frisson troublant, un souffle particulier qui le bouleversait. Et, malgré son amour des humbles, la laideur des visages, les faces communes et suantes, les haleines gâtées, les vieux vêtements sentant le pauvre, le faisaient souffrir jusqu’à la nausée.

— Voyons, mesdames, voyons, messieurs, il s’agit d’une malade… Un peu de place, je vous en prie !

Le chariot, noyé, ballotté dans cette vaste mer, continuait à s’avancer par saccades, mettant des minutes à conquérir quelques mètres de terrain. Un instant, on put le croire englouti, rien ne surnageait. Puis, il reparut, arriva à la hauteur des piscines. Une tendre sympathie finissait par se faire pour cette jeune fille malade, si ravagée de souffrance, si belle encore. Quand les gens avaient dû céder sous la poussée têtue du prêtre, ils se retournaient ; et ils n’osaient se fâcher, ils s’attendrissaient