Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maintenant que le sacrifice impossible allait être celui de son intelligence. Et il ne se trompait pas, c’était son père qui renaissait au fond de son être, qui finissait par l’emporter, dans cette dualité héréditaire, où, pendant si longtemps, sa mère avait dominé. Le haut de sa face, le front droit, en forme de tour, semblait s’être haussé encore, tandis que le bas, le menton fin, la bouche tendre se noyaient. Cependant, il souffrait, il était éperdu de la tristesse de ne plus croire, du désir de croire encore, à certaines heures du crépuscule, lorsque sa bonté, son besoin d’amour se réveillaient ; et il fallait que la lampe arrivât, qu’il vît clair autour de lui et en lui, pour retrouver l’énergie et le calme de sa raison, la force du martyre, la volonté de sacrifier tout à la paix de sa conscience.

La crise, alors, s’était déclarée. Il était prêtre, et il ne croyait plus. Cela, brusquement, venait de se creuser devant ses pas, comme un gouffre sans fond. C’était la fin de sa vie, l’effondrement de tout. Qu’allait-il faire ? La simple probité ne lui commandait-elle pas de jeter la soutane, de retourner parmi les hommes ? Mais il avait vu des prêtres renégats, et il les avait méprisés. Un prêtre marié, qu’il connaissait, l’emplissait de dégoût. Sans doute, ce n’était là qu’un reste de sa longue éducation religieuse : il gardait l’idée de l’indébilité de la prêtrise, cette idée que, lorsqu’on s’était donné à Dieu, on ne pouvait se reprendre. Peut-être aussi se sentait-il trop marqué, trop différent déjà des autres, pour ne pas craindre d’être gauche et mal venu au milieu d’eux. Du moment qu’on l’avait châtré, il voulait rester à part, dans sa fierté douloureuse. Et, après des journées d’angoisse, après des luttes sans cesse renaissantes, où se débattaient son besoin de bonheur et les énergies de sa santé revenue, il prit l’héroïque résolution de rester prêtre, et prêtre honnête. Il aurait la force de cette abnégation. Puisque, s’il n’avait pu mater le cerveau, il avait maté la chair, il se