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pas des yeux la statue de la Vierge. Rien d’autre n’existait autour de lui. Il ne voyait pas la foule énorme, il n’entendait même pas les cris éperdus des prêtres, les cris incessants qui secouaient cette foule frémissante. Ses yeux seuls lui restaient, ses yeux brûlants d’une infinie tendresse, et ils s’étaient fixés sur la Vierge, pour ne jamais plus s’en détourner. Ils la buvaient jusqu’à la mort, dans une volonté dernière de disparaître, de s’éteindre en elle. Un instant, la bouche s’entr’ouvrit, une expression de béatitude céleste détendit le visage. Puis, rien ne bougea plus, les yeux demeuraient grands ouverts, obstinément fixés sur la statue blanche.

Quelques secondes s’écoulèrent. Marthe avait senti un souffle froid, qui lui glaçait la racine des cheveux.

— Dites donc, madame, regardez !

Anxieuse, madame Sabathier feignit de ne pas comprendre.

— Quoi donc ? ma fille.

— Mon frère, regardez ! .. Il ne bouge plus. Il a ouvert la bouche, et puis il n’a plus bougé.

Alors, toutes deux frémirent, dans la certitude qu’il était mort. Il venait de passer, sans un râle, sans un souffle, comme si la vie s’en fût allée dans son regard, par ses grands yeux d’amour, dévorants de passion. Il avait expiré en regardant la Vierge, et rien n’était d’une douceur comparable, et il continuait à la regarder de ses yeux morts, avec d’ineffables délices.

— Tâchez de lui fermer les yeux, murmura madame Sabathier. Nous saurons bien.

Marthe s’était levée ; et, se penchant, pour qu’on ne la vît pas, elle s’efforça de fermer les yeux, d’un doigt qui tremblait. Mais, chaque fois, les yeux se rouvraient, regardaient de nouveau la Vierge, obstinément. Il était mort, et elle dut les laisser grands ouverts, noyés d’une extase sans fin.