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centrale qui s’encombrait, la famille Vigneron avait réussi à se caser. Ils étaient tous là : le petit Gustave, assis et affaissé, sa béquille entre les jambes ; la mère, à côté de lui, suivant les prières en bourgeoise correcte ; la tante, madame Chaise, de l’autre côté, gênée par la foule, suffoquée ; et M. Vigneron, silencieux, qui examinait depuis un moment cette dernière avec attention.

— Qu’avez-vous donc, ma chère ? Est-ce que vous vous trouvez mal ?

Elle respirait avec peine.

— Mais je ne sais pas… Je ne sens plus mes membres, et l’air me manque tout à fait.

À l’instant, il venait de songer que cette agitation, ces fièvres, ces bousculades d’un pèlerinage ne devaient guère être bonnes pour une maladie de cœur. Certes, il ne souhaitait la mort de personne, il n’avait jamais demandé à la sainte Vierge une chose pareille. Si, déjà, elle avait exaucé son vœu d’avancement, grâce à la mort subite de son chef, c’était que celui-ci, certainement, devait être condamné, dans les desseins du ciel. Et, de même, si madame Chaise mourait la première, en laissant sa fortune à Gustave, il n’aurait qu’à s’incliner devant la volonté de Dieu, qui veut d’ordinaire que les gens âgés partent avant les jeunes. Son espoir, inconsciemment, n’en fut pas moins si vif, qu’il ne put s’empêcher d’échanger un regard avec sa femme, envahie par la même pensée involontaire.

— Gustave, recule-toi, s’écria-t-il. Tu gênes ta tante.

Et, comme Raymonde passait :

— Mademoiselle, vous n’auriez pas un verre d’eau ? Nous avons là une de nos parentes qui perd connaissance.

Mais madame Chaise refusa du geste. Elle se remettait, elle reprit haleine avec effort.

— Non, rien, merci… Me voilà mieux… Ah ! j’ai bien cru que, cette fois, j’étouffais !