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lorsqu’il voulait enfoncer davantage un cri, jusqu’à trois fois il le répétait ; tandis que la foule, docile, le répétait également trois fois, frémissante sous l’énervement de cette lamentation obstinée, qui augmentait sa fièvre.

Les litanies continuèrent, et Berthaud retourna vers la Grotte. Ceux qui défilaient à l’intérieur, avaient, en faisant face aux malades, un spectacle extraordinaire. Tout le vaste espace, entre les cordes, était empli par les mille à douze cents malades que le pèlerinage national avait amenés ; et c’était, sous le grand ciel pur, dans la journée radieuse, le plus navrant pêle-mêle qu’on pût voir. Les trois hôpitaux avaient vidé là leurs salles d’épouvante. Au plus loin, d’abord, sur les bancs, on venait d’entasser les valides, ceux qui pouvaient encore se tenir assis. Beaucoup étaient pourtant calés avec des coussins ; d’autres s’épaulaient entre eux, les forts soutenaient les faibles. Puis, en avant, devant la Grotte même, les grands malades restaient allongés, les dalles disparaissaient sous ce pitoyable flot, une mare d’horreur élargie et stagnante. Il s’était produit un enchevêtrement de voitures, de brancards, de matelas, inexprimable. Certains, dans des chariots, des gouttières, des sortes de cercueils, se soulevaient, dominaient ; tandis que les plus nombreux, au ras de terre, semblaient couchés sur le sol. Il y en avait de vêtus, étendus simplement sur les toiles à carreaux des matelas. On avait apporté les autres avec leur literie, on ne voyait que leur tête et leurs mains pâles, en dehors des draps. Peu de ces grabats étaient propres. Seuls, quelques oreillers éblouissants de blancheur, ornés d’une broderie par une coquetterie dernière, éclataient parmi la misère crasseuse des autres, un déballage de loques, des couvertures fripées, des linges éclaboussés de souillures. Cela poussé, serré, empilé au petit bonheur de l’arrivée, des femmes, des hommes, des enfants, des