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goulûment son pain, par terre, sur le matelas. Et se sentant mourir :

— Elle est guérie, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.

La Grivotte l’entendit, s’exalta.

— Oh ! oui, madame, guérie, guérie, guérie tout à fait !

Un instant, madame Vêtu parut en proie à une tristesse abominable, à la révolte de l’être qui ne veut pas finir, quand les autres continuent à vivre. Mais déjà elle se résignait. On l’entendit qui ajoutait très bas :

— Ce sont les jeunes qui doivent rester.

Et ses yeux qui restaient grands ouverts, faisaient le tour, semblaient dire adieu à tout ce monde, qu’elle était surprise de trouver là. Elle s’efforça de sourire, en rencontrant le regard d’avide curiosité que la petite Sophie Couteau continuait à fixer sur elle : cette enfant si gentille était venue l’embrasser, le matin même, dans son lit. Élise Rouquet, ne s’occupant plus de personne, avait pris son miroir, s’était absorbée dans la contemplation de sa face, qu’elle croyait voir s’embellir à vue d’œil, depuis que la plaie séchait. Mais ce fut surtout le spectacle de Marie, si charmante dans son extase, qui parut ravir la mourante. Elle la regarda longuement, ramenée toujours à elle, comme à une vision de lumière et de joie. Peut-être croyait-elle déjà apercevoir les saintes du paradis, dans la gloire du soleil.

Brusquement, les vomissements recommencèrent ; et, désormais, il n’y avait plus que du sang, ce sang gâté, d’une couleur vineuse. Le flot en était si fort, qu’il éclaboussait le drap, souillait tout le lit. Vainement, madame de Jonquière et madame Désagneaux apportaient des serviettes, l’une et l’autre très pâles, les jambes défaillantes. Et Ferrand, dans son impuissance, s’était reculé jusqu’à la fenêtre, à la place où il venait d’avoir une si délicieuse émotion ; tandis que, d’un mouvement instinctif, dont elle n’avait sûrement pas conscience, sœur