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vous n’en mangiez pas avec moi… Alors, chacun son tour, nous en avons pris une ; et le papier s’est vidé, et elles étaient très bonnes.

— Oui, oui, très bonnes… C’était comme pour le sirop de groseilles : vous ne vous décidiez à en prendre, que lorsque j’en prenais moi-même.

Ils riaient plus haut, ces souvenirs les enchantaient. Mais un soupir douloureux de madame Vêtu les ramena à l’heure présente. Il se pencha, jeta un coup d’œil sur la malade, qui n’avait pas bougé. La salle gardait sa grande paix frissonnante, troublée seulement par la voix claire de madame Désagneaux, en train de compter le linge.

Étouffé d’émotion, il reprit, plus bas :

— Ah ! ma sœur, je puis vivre cent ans, je puis connaître toutes les joies, toutes les tendresses, jamais je n’aimerai une autre femme comme je vous aime !

Alors, sœur Hyacinthe, sans confusion pourtant, baissa la tête, se remit à coudre. Une imperceptible rougeur avait teinté de rose son teint de lis.

— Moi aussi, monsieur Ferrand, je vous aime bien… Seulement, il ne faut pas me rendre orgueilleuse. J’ai fait pour vous ce que je fais pour tant d’autres. C’est mon métier, à moi, vous savez. Et, là dedans, il n’y a eu qu’une chose d’agréable, c’est que le bon Dieu vous a guéri.

De nouveau, ils furent interrompus. La Grivotte et Élise Rouquet revenaient de la Grotte, avant les autres. Tout de suite, la Grivotte s’accroupit sur son matelas, par terre, au pied du lit de madame Vêtu ; et elle tira de sa poche un morceau de pain, qu’elle se mit à dévorer. Ferrand, depuis la veille, s’était intéressé à cette phtisique, qui traversait une si curieuse période d’agitation, prise d’un appétit exagéré, d’un besoin fébrile de mouvement. Mais, à cette minute, le cas d’Élise Rouquet le frappa davantage encore ; car il devenait certain maintenant que le lupus, dont la plaie lui mangeait la face, s’était amendé.