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Chacune avait la vanité de compter, dans son service, les maladies les plus graves, des cas exceptionnels, affreux ; de sorte qu’elle brûlait de les faire constater, afin d’en triompher ensuite. Celle-ci l’arrêtait par le bras, lui affirmait qu’elle croyait bien avoir une lèpre. Celle-là le suppliait, lui parlait d’une jeune fille dont les reins étaient couverts d’écailles de poisson. Une troisième chuchotait à son oreille, lui donnait des détails épouvantables sur une dame mariée, du meilleur monde. Il s’échappait, refusait d’en visiter une seule, finissait par promettre de revenir, plus tard, quand il aurait le temps. Comme il le disait, si l’on avait écouté ces dames, la journée se serait passée à donner des consultations inutiles. Puis, tout d’un coup, il s’arrêtait devant une miraculée, appelait Ferrand d’un signe, en s’écriant : « Ah ! voici une guérison intéressante ! » Et Ferrand, ahuri, devait l’entendre reconstituer la maladie, qui avait totalement disparu, à la première immersion dans la piscine.

Enfin, l’abbé Judaine qu’elle rencontra, apprit à sœur Hyacinthe qu’on venait d’appeler le jeune médecin à la salle des ménages. C’était la quatrième fois qu’il y descendait, pour le frère Isidore, dont les tortures ne cessaient pas. Il ne pouvait que le bourrer d’opium. Dans son martyre, le frère demandait seulement à être calmé un peu, afin de trouver la force de se rendre, l’après-midi encore, à la Grotte, où il n’avait pu aller le matin. Mais la douleur augmentait, il perdit connaissance.

Lorsque la sœur entra, elle trouva le médecin assis au chevet du missionnaire.

— Monsieur Ferrand, montez vite avec moi à la salle Sainte-Honorine, où nous avons une malade en train de mourir.

Il lui avait souri, il ne la voyait jamais sans être égayé et réconforté.