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tandis que Marie, extasiée, ensoleillée, semblait rester étrangère à tout ce qui se passait autour d’elle, dans l’attente ravie du miracle.

Sœur Hyacinthe n’avait pas trouvé Ferrand, dans la petite pièce où il se tenait d’habitude, près de la lingerie ; et elle le cherchait par toute la maison. Depuis deux jours, le jeune médecin s’effarait de plus en plus, au milieu de ce singulier hôpital, où l’on ne réclamait jamais son aide que pour des agonies. La petite boîte de pharmacie qu’il avait apportée, se trouvait même inutile ; car il ne fallait pas songer à instituer un traitement quelconque, puisque les malades n’étaient pas là pour se soigner, mais simplement pour guérir, dans le coup de foudre d’un prodige ; aussi ne distribuait-il guère que des pilules d’opium, qui endormaient les trop grosses souffrances. Il avait eu la stupeur d’assister à une tournée du docteur Bonamy, au travers des salles. C’était une simple promenade, le médecin venait en curieux, ne s’intéressait pas aux malades, qu’il n’examinait ni n’interrogeait. Il se préoccupait uniquement des prétendues guérisons, s’arrêtait devant les femmes qu’il reconnaissait pour les avoir vues à son bureau, où les miracles étaient constatés. Une d’entre elles avait trois maladies ; et la sainte Vierge, jusque-là, n’avait daigné en guérir qu’une ; mais on avait bon espoir pour les deux autres. Parfois, une malheureuse, guérie la veille, questionnée sur son état, répondait que les douleurs étaient revenues, ce qui n’entamait point la sérénité du docteur, toujours conciliant, s’en remettant au ciel pour achever ce que le ciel avait commencé. Quand il y avait un commencement de santé meilleure, n’était-ce pas déjà bien beau ? Aussi était-ce son mot habituel : il y a un commencement, patientez ! Mais ce qu’il redoutait surtout, c’étaient les obsessions des dames directrices, qui toutes auraient voulu le retenir, pour lui montrer des sujets extraordinaires.