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Et, lorsque la sœur fut partie, madame de Jonquière se fit aider par madame Désagneaux, pour relever un peu la tête de la moribonde, pensant que cela la soulagerait. Ces dames se trouvaient justement seules, ce matin-là, toutes les autres dames hospitalières étant allées à leurs affaires ou à leurs dévotions. Au fond de la grande salle vide, d’une paix si douce, où le soleil mettait son tiède frisson, on n’entendait toujours, par moments, que les rires légers de l’enfant qu’on ne voyait pas.

— Est-ce que c’est Sophie qui fait tout ce bruit ? dit soudain la directrice, un peu énervée, dans le gros ennui de la catastrophe qu’elle prévoyait.

Elle marcha vivement, alla jusqu’au bout de la salle ; et c’était en effet Sophie Couteau, la petite miraculée de l’année précédente, assise par terre, derrière un lit, qui, malgré ses quatorze ans, s’amusait à faire une poupée avec des chiffons. Elle lui parlait, elle était si heureuse, si perdue dans son jeu, qu’elle en riait d’aise.

— Tenez-vous droite, mademoiselle ! Dansez un peu la polka, pour voir ! Une ! deux ! dansez, tournez, embrassez celle que vous voudrez !

Mais madame de Jonquière arrivait.

— Ma petite fille, nous avons là une de nos malades qui souffre beaucoup et qui est au plus mal… Il ne faut pas rire si fort.

— Ah ! madame, je ne savais pas.

Elle s’était relevée, elle gardait sa poupée à la main, devenue très sérieuse.

— Madame, est-ce qu’elle va mourir ?

— J’en ai peur, ma pauvre enfant.

Alors, Sophie ne souffla plus. Elle avait suivi la directrice, elle s’était assise sur un lit voisin ; et, de ses grands yeux, avec une curiosité ardente, sans peur aucune, elle regardait madame Vêtu agoniser. Nerveuse, madame Désagneaux s’impatientait de ne pas voir le médecin venir ;