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midi, où les feuilles jaunies pleuvaient sur eux, elle lui disait ces choses. Mais il ne se rappelait pas les paroles, il avait seuls présents son sourire pâle, son visage de jeunesse, si charmant encore, désespéré déjà par le regret de la vie. Puis, il avait compris qu’elle évoquait le jour lointain de leur séparation, à cette place même, derrière la haie criblée de soleil ; et tout cela était comme mort, leurs larmes, leur embrassement, leur promesse de se retrouver un jour, dans une certitude de félicité. Ils se retrouvaient, mais à quoi bon maintenant ? puisqu’elle était comme morte, et que lui allait mourir à la vie de ce monde. Du moment que les médecins la condamnaient, qu’elle ne serait plus femme, ni épouse ni mère, il pouvait bien lui aussi renoncer à être un homme, s’anéantir en Dieu, auquel sa mère le donnait. Et il sentait la douce amertume de cette entrevue dernière, Marie souriant douloureusement de leurs anciens enfantillages, lui parlant du bonheur qu’il goûterait sûrement dans le service de Dieu, si émue à cette pensée, qu’elle lui avait fait promettre de la convier à entendre sa première messe.

À la station de Sainte-Maure, il y eut un brouhaha qui ramena un instant l’attention de Pierre dans le wagon. Il crut à quelque crise, à un évanouissement nouveau. Mais les faces de douleur qu’il rencontra, restaient les mêmes, gardaient la même expression contractée, l’attente anxieuse du secours divin, si lent à venir. M. Sabathier tâchait de caser ses jambes, le frère Isidore jetait une petite plainte continue d’enfant mourant, tandis que madame Vêtu, en proie à un accès terrible, l’estomac dévoré, ne soufflait même pas, serrant les lèvres, la face décomposée, noire et farouche. C’était madame de Jonquière, qui, en nettoyant un vase, venait de laisser tomber le broc de zinc. Et, malgré leurs tourments, cela avait égayé les malades, ainsi que des âmes simples, que la souffrance rendait