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Gildard, agenouillée dans l’ombre, il y avait ici des victorieux, des prêtres en habits d’or, chantant des actions de grâce, bénissant des églises et des monuments, bâtis à coups de millions. Elle seule a manqué au triomphe de la foi nouvelle dont elle a été l’ouvrière… Vous dites qu’elle a rêvé. Ah ! quel beau rêve qui a remué tout un monde, et dont elle, la chère créature, ne s’est éveillée jamais !

Ils s’arrêtèrent, ils s’assirent un instant sur une roche, au bord de la route, avant de revenir vers la ville. Devant eux, le Gave, profond à cet endroit, roulait des eaux bleues, moirées de reflets sombres ; tandis que, plus loin, coulant largement sur un lit de gros cailloux, il n’était plus qu’une écume, une mousse blanche, d’une légèreté de neige. Un air frais descendait des montagnes, dans la pluie d’or du soleil.

Pierre n’avait trouvé qu’un nouveau sujet de révolte, en écoutant cette histoire de Bernadette, exploitée et supprimée ; et, les yeux à terre, il songeait à l’injuste nature, à cette loi qui veut que le fort mange le faible.

Puis, relevant la tête :

— Et l’abbé Peyramale, vous l’avez connu aussi ?

Les yeux du docteur se rallumèrent, il répondit vivement :

— Certes ! un homme droit et fort, un saint, un apôtre ! Il a été, avec Bernadette, le grand ouvrier de Notre-Dame de Lourdes. Comme elle, il en a souffert affreusement, et comme elle il en est mort… On ne sait rien, on ne comprend rien au drame qui s’est passé ici, si l’on ne connaît pas cette histoire.

Longuement, alors, il la conta. L’abbé Peyramale était curé de Lourdes, au moment des apparitions. C’était un homme grand, aux fortes épaules, à la puissante tête léonine, un enfant du pays d’une intelligence vive, très honnête, très bon, mais violent parfois et dominateur.