Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/342

Cette page n’a pas encore été corrigée

si l’on eût redouté qu’elle pût commettre le péché d’orgueil, en s’abandonnant à la vanité de cette renommée sainte dont la chrétienté entière retentissait. Et cela était lui faire une grave injure, car elle était incapable d’orgueil, comme de mensonge, jamais il n’y a eu d’enfant plus simple ni plus modeste.

Il se passionnait, s’exaltait. Brusquement, il se calma, eut de nouveau son pâle sourire.

— C’est vrai, je l’aime ; plus j’ai songé à elle, plus je l’ai aimée… Mais voyez-vous, Pierre, il ne faut pas que vous me jugiez complètement abêti par la croyance. Si je fais aujourd’hui la part de l’au-delà, si j’ai le besoin de croire à une autre vie meilleure et plus juste, je sais qu’il reste les hommes en ce bas monde ; et, même lorsqu’ils portent le froc ou la soutane, leur besogne y est parfois abominable.

Il y eut encore un silence. Chacun rêvait de son côté. Et il reprit :

— Je veux vous dire une imagination qui m’a hanté souvent… Admettez que Bernadette ne fût pas cette enfant simple et farouche, donnez-lui un esprit d’intrigue et de domination, faites d’elle une conquérante, une directrice de peuples ; et tâchez d’évoquer ce qui se serait passé alors… Évidemment, la Grotte serait à elle, la Basilique serait à elle. Nous la verrions trôner dans les cérémonies, sous un dais, avec une mitre d’or. Ce serait elle qui distribuerait les miracles, dont la petite main conduirait les foules au ciel, d’un geste souverain. Elle rayonnerait, étant la sainte, l’élue, celle qui seule a contemplé la divinité face à face. Et, en somme, rien ne paraîtrait plus juste, elle serait au succès après avoir été à la peine, elle jouirait glorieusement de son œuvre… Tandis que, vous le voyez, elle est frustrée, dévalisée. Les moissons merveilleuses qu’elle a semées, ce sont d’autres qui les coupent. Pendant les douze années qu’elle a vécu à Saint-