Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/333

Cette page n’a pas encore été corrigée

la petite Rose venait encore de l’enfiévrer davantage, il ne pouvait chasser l’idée de cette mère crucifiée, errant par les chemins boueux, avec le corps de son enfant. Quelles étaient donc les raisons qui décidaient la Vierge ? Cela le stupéfiait qu’elle pût choisir, il aurait voulu savoir comment son cœur de Mère divine pouvait se résoudre à ne guérir que dix malades sur cent, ce dix pour cent de miracles dont le docteur Bonamy avait établi la statistique. Lui, déjà, la veille, s’était demandé, s’il avait eu le pouvoir d’en sauver dix, lesquels il aurait élus. Pouvoir terrible, choix redoutable, dont il ne se serait pas senti le courage ! Pourquoi celui-ci, pourquoi pas celui-là ? Où était la justice, où était la bonté ? Être la puissance infinie et les guérir tous, n’était-ce pas le cri qui sortait des cœurs ? Et la Vierge lui apparaissait cruelle, mal renseignée, aussi dure et indifférente que l’impassible nature, distribuant la vie et la mort comme au hasard, selon des lois ignorées de l’homme.

La pluie cessait, Pierre était là depuis deux heures, lorsqu’il se sentit les pieds mouillés. Il regarda, il fut très surpris : c’était la source qui débordait, à travers les grillages des panneaux. Déjà, le sol de la Grotte se trouvait inondé, une nappe coulait au dehors, sous les bancs, jusqu’au parapet du Gave. Les derniers orages avaient gonflé les eaux d’alentour. Et il songeait que la source, toute miraculeuse qu’elle fût, était soumise aux lois des autres sources, car elle communiquait sûrement avec des réservoirs naturels, où les eaux de pluie pénétraient et s’amassaient. Il s’en alla, pour ne pas avoir les chevilles trempées.