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commune que la rue traverse. Mais le jour trop vif n’inondait plus les murs blafards, les cierges qui brûlaient sur tous les autels étoilaient seulement les ombres vagues, endormies sous les voûtes. Il y avait eu, à minuit, une grand’messe solennelle, célébrée avec une pompe extraordinaire, dans l’éclat des lumières, des chants, des vêtements d’or, des encensoirs balancés et fumants ; et, de ce flamboiement glorieux, il n’était resté, à chacun des quinze autels du pourtour, que les cierges réglementaires, nécessaires à la célébration des messes. Dès minuit, les messes commençaient, ne cessaient plus jusqu’à midi. Rien qu’au Rosaire, il s’en disait près de quatre cents, pendant ces douze heures. Pour Lourdes entier, où l’on comptait une cinquantaine d’autels, le nombre des messes dites montait à plus de deux mille par jour. Et l’affluence des prêtres était si grande, que beaucoup remplissaient difficilement leur devoir, devaient faire queue durant des heures, avant de trouver un autel libre. Cette nuit-là, ce qui étonna Pierre, ce fut de voir, dans les demi-ténèbres, les autels assiégés, des files de prêtres qui attendaient patiemment leur tour, en bas des marches, pendant que l’officiant dépêchait les phrases latines, avec de grands signes de croix ; et la fatigue était si écrasante, que la plupart s’asseyaient par terre, que certains s’endormaient sur les marches, en tas et vaincus, comptant que le bedeau les réveillerait.

Un instant, il se promena, indécis. Allait-il attendre comme les autres ? Mais le spectacle le retenait. À tous les autels, à toutes les messes, un flot de pèlerins se pressaient, communiaient en hâte, avec une sorte de ferveur vorace. Les ciboires se remplissaient, se vidaient sans cesse, les mains des prêtres se fatiguaient à distribuer le pain de vie ; et il s’étonnait de nouveau, jamais il n’avait vu un coin de terre arrosé à ce point du sang divin, et d’où la foi s’exhalât en un tel envolement des âmes.