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doucement la grille, laissant le baron Suire endormi sur le banc.

Dans son chariot, Marie n’avait pas bougé, soulevée à demi sur les coudes, la face extasiée, levée vers la Vierge.

— Marie, êtes-vous bien ? n’avez-vous pas froid ?

Elle ne répondit point. Il lui tâta les mains, les trouva tièdes et douces, agitées pourtant d’un petit tremblement.

— Ce n’est pas le froid qui vous fait trembler, n’est-ce pas, Marie ?

Et elle dit alors, d’une voix légère comme un souffle :

— Non, non ! laissez-moi, je suis si heureuse ! Je vais la voir, je le sens… Ah ! quelles délices !

Alors, il remonta un peu le châle, et il s’éloigna, en pleine nuit, saisi d’un trouble inexprimable. Au sortir des clartés vives de la Grotte, c’était une nuit d’encre, un néant de ténèbres, dans lequel il roulait au hasard. Puis, ses yeux s’habituèrent, il se retrouva près du Gave, il en suivit le bord, une allée ombragée de grands arbres, où l’obscurité fraîche recommençait. Cela le soulageait maintenant, cette ombre, cette fraîcheur si calmantes. Et il n’éprouvait plus qu’une surprise, celle de ne s’être pas agenouillé, de n’avoir pas prié, comme Marie priait elle-même, avec tout l’abandon de son âme. Quel était donc l’obstacle en lui ? D’où venait l’irrésistible révolte qui l’empêchait de se laisser glisser à la foi, même lorsque son être surmené, obsédé, souhaitait l’abandon ? Il entendait bien que sa raison seule protestait ; et il se trouvait dans une heure où il aurait voulu la tuer, cette raison vorace qui mangeait sa vie, qui l’empêchait d’être heureux, du bonheur des ignorants et des simples. Peut-être, s’il avait vu un miracle, aurait-il eu la volonté de croire. Par exemple, si Marie s’était levée tout d’un coup et avait marché devant lui, ne se serait-il pas prosterné, vaincu enfin ? Cette image qu’il se faisait de Marie sauvée,