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comme des amants jaloux, puis qui repartaient, effarouchés, à la première menace de foule. Et quelle douceur, par un mauvais temps d’hiver ! Par la pluie, par le vent, par la neige, la Grotte gardait son flamboiement. Même, durant les nuits d’enragée tempête, lorsque pas une âme n’était là, elle incendiait les ténèbres vides, elle brûlait comme un brasier d’amour que rien ne pouvait éteindre. Le baron racontait que, pendant les grandes neiges de l’hiver précédent, il y était venu passer des après-midi entières, à cette place, sur ce banc où il était assis. Il y régnait une chaleur douce, bien qu’elle fût tournée au nord et que jamais le soleil n’y pénétrât. Sans doute la roche continuellement chauffée par les cierges expliquait cette bonne tiédeur ; mais ne pouvait-on croire, en outre, à un bienfait charmant de la Vierge, qui faisait régner là un avril éternel ? Aussi les petits oiseaux ne s’y trompaient pas, tous les pinsons du voisinage, quand la neige glaçait leurs pattes, s’y réfugiaient, voletaient dans le lierre, autour de la statue sainte. Et c’était, enfin, le réveil du printemps, le Gave roulant avec un fracas de tonnerre les neiges fondues, les arbres reverdissant sous la poussée de la sève, tandis que les foules de retour envahissaient bruyamment la Grotte étincelante, dont elles chassaient les petits oiseaux du ciel.

— Oui, oui, répétait le baron Suire, d’une voix ralentie, j’ai passé ici, tout seul, des journées d’hiver adorables… Je ne voyais qu’une femme, qui s’agenouillait là, contre la grille, pour ne pas mettre ses genoux dans la neige. Elle était très jeune, vingt-cinq ans peut-être, et très jolie, une brune avec des yeux bleus magnifiques. Elle ne disait rien, elle ne paraissait même pas prier, elle restait ainsi pendant des heures, d’un air infiniment triste… Je ne sais qui elle était, jamais je ne l’ai revue.

Il cessa de parler ; et, deux minutes plus tard, comme Pierre le regardait, étonné de son silence, il s’aperçut