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je sais que vous êtes très raisonnables tous les deux. Et bonne nuit, n’ayez aucun souci de moi.

Il embrassa longuement sa fille, serra les deux mains du jeune prêtre ; puis, il s’en alla, se perdit dans les rangs pressés de la procession, qu’il dut traverser de nouveau.

Alors, ils furent seuls, dans leur coin d’ombre et de solitude, sous les grands arbres, elle toujours assise au fond de son chariot, lui agenouillé parmi les herbes, appuyé du coude à l’une des roues. Et ce fut adorable, pendant que le défilé des cierges continuait, et qu’ils se massaient tous en tournoyant sur la place du Rosaire. Ce qui le ravissait, c’était que rien ne semblait rester, au-dessus de Lourdes, des godailles de la journée. On aurait dit qu’un vent purificateur était venu des montagnes, qui avait balayé l’odeur des fortes nourritures, les joies goulues du dimanche, toute cette poussière brûlante et empestée de fête foraine, flottant sur la ville. Il n’y avait plus qu’un ciel immense, aux étoiles pures ; et la fraîcheur du Gave était délicieuse, et les souffles errants apportaient des parfums de fleurs sauvages. L’infini du mystère se perdait dans la paix souveraine de la nuit, il ne demeurait de la matière lourde que ces petites flammes des cierges, comparées par sa compagne à des âmes souffrantes, en train de se délivrer. Cela était d’un repos exquis et d’un espoir sans limite. Depuis qu’il se trouvait là, les souvenirs blessants de l’après-midi, les appétits voraces, la simonie impudente, la vieille ville gâtée et prostituée, s’en allaient peu à peu, pour ne le laisser qu’à ce rafraîchissement divin, à cette nuit si belle, où tout son être se baignait comme dans une eau de résurrection.

Marie, elle aussi, pénétrée d’une infinie douceur, murmura :

— Ah ! comme Blanche serait heureuse de voir toutes ces merveilles !