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surprenant qu’on ne voie pas ici plus de malades. Ce tas de monde m’a l’air, vraiment, d’avoir un riche appétit.

Cependant, en dehors de Gustave, qui ne mangeait que des miettes comme un petit poulet, il avait fini par découvrir un goitreux assis à la table d’hôte, entre deux femmes, dont l’une était certainement une cancéreuse. Plus loin, une jeune fille semblait si maigre, si pâle, qu’on devait soupçonner une phtisique. Et, en face, il y avait une idiote, qui était entrée, soutenue par deux parentes, et qui, les yeux vides, le visage mort, avalait maintenant sa nourriture à la cuiller, en bavant sur sa serviette. Peut-être se trouvait-il encore d’autres malades, noyés au milieu de ces faims bruyantes, des malades que le voyage fouettait, qui mangeaient comme ils n’avaient pas mangé depuis longtemps. Les tartes aux abricots, le fromage, les fruits, tout s’engouffrait, dans la débandade du couvert, et il n’allait rester que les taches de sauce et de vin, élargies sur la nappe.

Il était près de midi.

— Nous retournerons tout de suite à la Grotte, n’est-ce pas ? dit M. Vigneron.

On n’entendait d’ailleurs que ces mots : À la Grotte ! à la Grotte ! Les bouches pleines se dépêchaient, revenaient aux prières et aux cantiques.

— Ma foi ! déclara M. de Guersaint à son compagnon, puisque nous avons l’après-midi devant nous, je vous propose de visiter un peu la ville ; et je vais m’occuper de trouver une voiture pour mon excursion à Gavarnie, puisque ma fille le désire.

Pierre, qui suffoquait, fut heureux de quitter la salle à manger. Sous le porche, il respira. Mais il y avait là un flot nouveau de convives, faisant queue, attendant des places ; et on se disputait les petites tables, le moindre trou à la table d’hôte se trouvait immédiatement occupé. Pendant plus d’une heure encore, l’assaut continuerait,