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— Tiens ! dit M. Vigneron, une lettre pour moi ! C’est surprenant, je n’ai donné mon adresse à personne.

Puis, il se souvint.

— Ah ! si, ça doit être de Sauvageot, qui me remplace aux Finances.

Et, la lettre ouverte, ses mains se mirent à trembler, il eut un cri.

— Le chef est mort !

Madame Vigneron, bouleversée, ne sut pas retenir sa langue.

— Alors, tu vas être nommé !

C’était leur rêve caché, caressé : la mort du chef de bureau, pour que lui, sous-chef depuis dix ans, pût enfin monter au grade suprême, son maréchalat. Et sa joie était si forte, qu’il lâcha tout.

— Ah ! ma bonne amie, la sainte Vierge est décidément avec moi… Ce matin encore, je lui ai demandé mon avancement, et elle m’exauce !

Soudain, il sentit qu’il ne fallait pas triompher ainsi, en rencontrant les yeux de madame Chaise, fixés sur les siens, et en voyant son fils Gustave sourire. Chacun, dans la famille, faisait sûrement ses affaires, demandait à la Vierge les grâces personnelles dont il avait besoin. Aussi se reprit-il, de son air de brave homme :

— Je veux dire que la sainte Vierge nous aime bien tous, et qu’elle nous renverra tous satisfaits… Ah ! ce pauvre chef, ça me fait de la peine. Il va falloir que j’envoie une carte à sa veuve.

Malgré son effort, il exultait, il ne doutait plus de voir accomplis enfin ses plus secrets désirs, ceux mêmes qu’il ne s’avouait pas. Et les tartes aux abricots furent fêtées, Gustave eut la permission d’en manger une petite part.

— C’est surprenant, fit remarquer à Pierre M. de Guersaint qui s’était fait servir une tasse de café, c’est