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Deux grosses larmes roulèrent de ses yeux, tandis qu’il souriait de son air d’homme tendre et désabusé, ayant beaucoup vécu. Tout de suite, madame Chaise l’embrassa, en lui disant qu’elle n’était pas fâchée ; et, dès lors, la joie de vivre des Vigneron s’étala, en toute bonhomie.

— Si les rognons ne sont pas fameux, dit M. de Guersaint à Pierre, voici vraiment des choux-fleurs qui ont du goût.

Et, d’un bout à l’autre de la salle, la mastication formidable continuait. Jamais Pierre n’avait vu manger à ce point, et dans une telle sueur, dans un tel étouffement de buanderie ardente. L’odeur de la nourriture s’épaississait, ainsi qu’une fumée. Pour s’entendre, il fallait crier, car tous les convives causaient très haut, pendant que les garçons, ahuris, remuaient la vaisselle, à la volée ; sans compter le bruit des mâchoires, un broiement de meule qu’on saisissait distinctement. Ce qui blessait de plus en plus le jeune prêtre, c’était la promiscuité extraordinaire de cette table d’hôte, où les hommes, les femmes, les jeunes filles, les ecclésiastiques se tassaient, au petit bonheur de la rencontre, assouvissant leur faim comme une meute lâchée, qui happe les morceaux en hâte. Les corbeilles de pain circulaient, se vidaient. Il y eut un massacre des viandes froides, tous les débris des viandes de la veille, du gigot, du veau, du jambon, entourés d’un éboulement de gelée claire. On avait déjà trop mangé, et ces viandes pourtant réveillaient les appétits, dans la pensée qu’il ne fallait laisser de rien. Le prêtre beau mangeur, au milieu de la table, s’attardait aux fruits, en était à sa troisième pêche, des pêches énormes, qu’il pelait lentement et avalait par tranches, avec componction.

Mais une émotion agita la salle, un garçon distribuait le courrier, dont madame Majesté avait achevé le tri.