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la purée de pommes de terre, à fourchette pleine, lorsqu’il crut s’apercevoir que madame Chaise boudait son neveu.

— Gustave, dit-il tout à coup, est-ce que tu as demandé pardon à ta tante ?

Le petit, étonné, ouvrit ses grands yeux clairs, dans sa face amincie.

— Oui, tu as été méchant, tu l’as repoussée, là-haut, quand elle s’est approchée de toi.

Madame Chaise, très digne, se taisait, attendait ; tandis que Gustave, qui achevait sans faim la noix de sa côtelette coupée en petits morceaux, restait les yeux baissés sur son assiette, s’entêtant cette fois à se refuser au triste métier de tendresse qu’on lui imposait.

— Voyons, Gustave, sois gentil, tu sais combien ta tante est bonne et tout ce qu’elle compte faire pour toi.

Non, non ! il ne céderait pas. Il l’exécrait, en ce moment, cette femme qui ne mourait pas assez vite, qui lui gâtait l’affection de ses parents, au point qu’il ne savait plus, quand il les voyait s’empresser autour de lui, si c’était lui qu’ils voulaient sauver ou bien l’héritage que son existence représentait.

Mais madame Vigneron, si digne, se joignit à son mari.

— Vraiment, Gustave, tu me fais beaucoup de peine. Demande pardon à ta tante, si tu ne veux pas me fâcher tout à fait.

Et il céda. Pourquoi lutter ? ne valait-il pas mieux que ses parents eussent cet argent ? lui-même ne mourrait-il pas à son tour, plus tard, puisque cela arrangeait les affaires de la famille ? Il savait cela, il comprenait tout, même les choses qu’on taisait, tellement la maladie lui avait donné des oreilles subtiles, qui entendaient les pensées.

— Ma tante, je vous demande pardon de n’avoir pas été gentil avec vous, tout à l’heure.