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venir, elle l’a voulue pour sa maison seule, elle s’est séparée résolument des pères de la Grotte, qui s’efforçaient de mettre la main sur elle. Oui, monsieur l’abbé, elle est allée jusqu’à Rome, elle a eu gain de cause, elle empoche maintenant tout l’argent des additions. Des religieuses, des religieuses, mon Dieu ! louer des chambres garnies et tenir une table d’hôte !

Il levait les bras au ciel, il suffoquait.

— Mais, finit par objecter doucement Pierre, puisque votre maison regorge, puisque vous n’avez plus de libre ni un lit ni une assiette, où mettriez-vous donc les voyageurs, s’il vous en arrivait encore ?

Majesté se récria vivement.

— Ah ! monsieur l’abbé, on voit bien que vous ne connaissez pas le pays. Pendant le pèlerinage national, c’est vrai, nous travaillons tous, nous n’avons pas à nous plaindre. Mais cela ne dure que quatre ou cinq jours ; et, dans les temps ordinaires, le courant est moins fort… Oh ! moi, Dieu merci ! je suis toujours satisfait. La maison est connue, elle vient sur le même rang que l’hôtel de la Grotte, où il s’est fait déjà deux fortunes… N’importe ! c’est vexant de voir ces Sœurs bleues écrémer la clientèle, nous prendre des dames de la bourgeoisie qui passent à Lourdes des quinze jours, des trois semaines ; et cela aux époques tranquilles, quand il n’y a pas beaucoup de monde : vous comprenez, n’est-ce pas ? des personnes bien élevées qui détestent le bruit, qui vont prier à la Grotte toutes seules, pendant des journées entières, et qui payent largement, sans marchander jamais.

Madame Majesté, que Pierre et M. de Guersaint n’avaient pas aperçue, penchée sur un registre, où elle additionnait des comptes, intervint alors de sa voix aiguë.

— L’année dernière, messieurs, nous avons gardé une voyageuse comme ça pendant deux mois. Elle allait à la Grotte, en revenait, y retournait, mangeait, se couchait.