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même pas, des larmes montées du plus profond de son être, de sa chasteté volontaire, lui avaient empli les yeux, dans un sentiment d’immense tristesse.

— Eh bien ! y sommes-nous ? cria joyeusement M. de Guersaint, en reparaissant, ganté, serré dans son veston de drap gris.

— Oui, oui, nous partons, dit Pierre, qui se détourna, cherchant son chapeau, pour s’essuyer les yeux.

Et, comme ils sortaient, ils entendirent à gauche une voix grasse qu’ils reconnurent, la voix de M. Vigneron, en train de réciter, très haut, les prières du matin. Mais une rencontre les intéressa : ils suivaient le couloir, lorsqu’ils se croisèrent avec un monsieur d’une quarantaine d’années, fort et trapu, la face encadrée de favoris corrects. D’ailleurs, il gonfla le dos, il passa si vite, qu’ils ne purent distinguer ses traits. Il portait un paquet à la main, ficelé soigneusement. Et il glissa la clef, referma la porte, disparut comme une ombre, sans bruit.

M. de Guersaint s’était retourné.

— Tiens ! le monsieur seul… Il doit revenir du marché, il se rapporte des gourmandises.

Pierre feignit de ne pas entendre, car il jugeait son compagnon trop léger pour le mettre dans la confidence d’un secret qui n’était pas le sien. Puis, une gêne lui venait, une sorte de terreur pudique, à l’idée de cette revanche de la chair, qu’il savait là désormais, au milieu de la mystique exaltation dont il se sentait enveloppé.

Ils arrivèrent à l’Hôpital, juste au moment où l’on descendait les malades pour les conduire à la Grotte. Et ils trouvèrent Marie très gaie, ayant bien dormi. Elle embrassa son père, le gronda, quand elle sut qu’il n’avait pas encore décidé son excursion à Gavarnie. S’il n’y allait pas, il lui ferait beaucoup de chagrin. D’ailleurs, elle disait, de son air reposé et souriant, qu’elle ne serait pas guérie ce jour-là. Ensuite, elle supplia Pierre de lui obtenir la