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ce qu’ils disaient était si pitoyable, que tout le monde pleurait. Une mère présentait son enfant à demi mort : est-ce qu’on le laisserait s’éteindre ainsi à son cou, lorsqu’une source était là qui avait sauvé les enfants des autres mères ? Un aveugle montrait ses yeux troubles, un pâle garçon scrofuleux étalait les plaies de ses jambes, une femme paralytique tâchait de joindre ses mains tordues : voulait-on leur mort, leur refuserait-on la chance divine de vivre, puisque la science des hommes les abandonnait ? Et la détresse des croyants était aussi grande, de ceux qui étaient convaincus qu’un coin du ciel venait de s’ouvrir, dans la nuit de leur morne existence, et qui s’indignaient qu’on leur enlevât cette joie de la chimère, ce suprême soulagement à leur souffrance humaine et sociale, de croire que la sainte Vierge était descendue leur apporter l’infinie douceur de son intervention. Le maire n’avait pu rien promettre, et la foule s’était retirée pleurante, prête à la rébellion, comme sous le coup d’une grande injustice, d’une cruauté imbécile envers les petits et les simples, dont le ciel tirerait vengeance.

Pendant plusieurs mois, la lutte continua. Et ce fut un spectacle extraordinaire que ces hommes de bon sens, le ministre, le préfet, le commissaire de police, animés certainement des meilleures intentions, se battant contre la foule toujours croissante des désespérés, qui ne voulaient pas qu’on leur fermât la porte du rêve. Les autorités exigeaient l’ordre, le respect d’une religion sage, le triomphe de la raison ; tandis que le besoin d’être heureux emportait le peuple au désir exalté du salut, dans ce monde et dans l’autre. Oh ! ne plus souffrir, conquérir l’égalité du bonheur, ne plus marcher que sous la protection d’une Mère juste et bonne, ne mourir que pour se réveiller au ciel ! Et c’était forcément ce désir brûlant des multitudes, cette folie sainte de l’universelle