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Et Marie attendait, avec une sourde peur, que le fichu s’écartât.

— Sont-ils assez petits comme cela ? demandait madame de Jonquière, maternellement. Pourrez-vous les fourrer dans votre bouche ?

Sous le fichu noir, une voix rauque grognait.

— Oui, oui, madame.

Enfin, le fichu tomba, et Marie eut un frisson d’horreur. C’était un lupus, qui avait envahi le nez et la bouche, peu à peu grandi là, une ulcération lente s’étalant sans cesse sous les croûtes, dévorant les muqueuses. La tête allongée en museau de chien, avec ses cheveux rudes et ses gros yeux ronds, était devenue affreuse. Maintenant, les cartilages du nez se trouvaient presque mangés, la bouche s’était rétractée, tirée à gauche par l’enflure de la lèvre supérieure, pareille à une fente oblique, immonde et sans forme. Une sueur de sang, mêlée à du pus, coulait de l’énorme plaie livide.

— Oh ! voyez donc, Pierre ! murmura Marie tremblante.

Le prêtre frémit à son tour, en regardant Élise Rouquet glisser avec précaution les petits morceaux de pain dans le trou saignant qui lui servait de bouche. Tout le wagon avait blêmi devant l’abominable apparition. Et la même pensée montait de toutes ces âmes gonflées d’espoir. Ah ! Vierge sainte, Vierge puissante, quel miracle, si un pareil mal guérissait !

— Mes enfants, ne songeons pas à nous, si nous voulons bien nous porter, répéta sœur Hyacinthe.

Et elle fit dire le second chapelet, les cinq mystères douloureux : Jésus au Jardin des Oliviers, Jésus flagellé, Jésus couronné d’épines, Jésus portant sa croix, Jésus mourant sur la croix. Puis, le cantique suivit : « Je mets ma confiance, Vierge, en votre secours… »

On venait de traverser Blois, on roulait déjà depuis trois grandes heures. Et Marie, détournant les yeux