Page:Zola - Les Trois Villes - Lourdes, 1894.djvu/225

Cette page n’a pas encore été corrigée

milieu, en la rendant au grand air libre, dans quelque pays de plein jour et d’humaine tendresse ! Mais elle était l’élue, elle avait vu la Vierge, elle allait en souffrir toute l’existence, et en mourir.

Pierre, qui connaissait bien Bernadette, et qui gardait à sa mémoire une pitié fraternelle, la ferveur qu’on a pour une sainte humaine, une créature simple, droite et charmante dans le supplice de sa foi, laissa voir son émotion, les yeux humides, la voix tremblante. Et il y eut une interruption, Marie qui était restée raidie jusque-là, avec sa face dure de révoltée, dénoua ses mains, eut un vague geste pitoyable.

— La pauvre petite, murmura-t-elle, toute seule contre ces magistrats, et si innocente, si fière, si convaincue !

De tous les lits, la même sympathie souffrante montait. L’enfer de cette salle, dans sa détresse nocturne, avec son air empesté, son entassement de grabats douloureux, son fantômal va-et-vient d’hospitalières et de religieuses brisées de fatigue, semblait s’éclairer d’un éclat de divine charité. Pauvre, pauvre Bernadette ! Toutes s’indignaient des persécutions qu’elle avait endurées, pour défendre la réalité de sa vision.

Alors, Pierre, reprenant, dit ce que Bernadette eut à souffrir. Après l’interrogatoire du commissaire de police, elle dut encore comparaître en la chambre du Tribunal. La magistrature entière s’acharnait, voulait lui arracher une rétractation. Mais l’entêtement de son rêve était plus fort que la raison de toutes les autorités civiles réunies. Deux docteurs, envoyés par le préfet, pour l’examiner, conclurent honnêtement, comme n’importe quel médecin l’aurait fait, à des troubles nerveux, dont l’asthme était une indication certaine, et qui pouvaient avoir déterminé des hallucinations, en de certaines circonstances ; ce qui faillit la faire interner dans un hôpital de Tarbes. Pourtant, on n’osa l’enlever, on craignit l’exaspération