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main invisible et secourable s’étendait, pansait l’éternelle plaie humaine. Ah ! ce rêve que chaque génération refaisait à son tour, avec quelle énergie indestructible il repoussait chez les déshérités, dès qu’il avait trouvé un terrain favorable, préparé par les circonstances ! Et, depuis des siècles peut-être, tous les faits ne s’étaient pas réunis de la sorte, pour embraser, comme à Lourdes, le foyer mystique de la foi.

Une religion nouvelle allait se fonder, et tout de suite les persécutions se déclarèrent, car les religions ne poussent qu’au milieu des tourments et des révoltes. Comme autrefois, à Jérusalem, lorsque le bruit se répandit que des miracles fleurissaient sous les pas du Sauveur attendu, les autorités civiles s’émurent, le procureur impérial, le juge de paix, le maire, surtout le préfet de Tarbes. Celui-ci était justement un catholique sincère, pratiquant, d’honorabilité absolue, mais une tête solide d’administrateur, passionné défenseur du bon ordre, adversaire déclaré du fanatisme, d’où naissent les émeutes et les perversions religieuses. Il y avait à Lourdes, sous ses ordres, un commissaire de police ayant le légitime désir de prouver ses dons de sagacité adroite. La lutte commença, ce fut ce commissaire qui, le premier dimanche de carême, dès les premières visions, fit amener Bernadette devant lui, pour l’interroger. Vainement, il se montra affectueux, puis emporté, menaçant : il ne tira toujours de la fillette que les mêmes réponses. L’histoire qu’elle contait, avec des détails lentement accrus, s’était peu à peu fixée dans son cerveau d’enfantine, irrévocable. Et, chez cette irrégulière de l’hystérie, ce n’était pas un mensonge, c’était la hantise inconsciente, une volonté morte qui ne pouvait se dégager de l’hallucination première. Ah ! la triste enfant, la chère enfant, si douce, dès lors perdue à la vie, crucifiée par l’idée fixe, dont on n’aurait pu la tirer qu’en la changeant de